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L'OEUVRE
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La musique a partie liée avec l’amour, probablement dès l’origine des temps, puis avec les troubadours (en allemand : "Minnesänger", c’est-à-dire "chanteurs d’amour") qui célébraient l’amour courtois au Moyen Age, et jusqu’à la plus récente des chansons d’amour. Les sentiments amoureux ont inspiré de nombreuses œuvres musicales, et suscité des genres musicaux spécifiques (duos, romances, nocturnes…).
Le programme que nous interprétons vise à présenter quelques remarquables réussites en la matière.
Claudio Monteverdi (1567-1643) :
* Orfeo, composé en 1607, est l’un des tout premiers opéras, et il est consacré à un héros qui incarne la convergence de l’amour et de la musique, puisque Orphée personnifie la musique et que c’est grâce à la puissance de son art qu’il parvient à arracher celle qu’il aime, Eurydice, aux enfers. A noter que, à la même époque, deux autres compositeurs ont écrit des opéras consacrés à Eurydice : Peri (1600) et Caccini (1602).
L’œuvre de Monteverdi débute par une Toccata brillante et solennelle, répétée deux fois, qui est une vraie jubilation sonore.
* Le couronnement de Poppée (1642) illustre le succès de celle qui, à force d’intrigues, parvint à devenir la deuxième femme de l’empereur Néron. Celui-ci y est présenté avec toute la cruauté qu’on lui attribue, tandis qu’on ne cache rien de l’arrivisme de Poppée. Et pourtant, leurs sentiments amoureux sont évoqués avec une chaleur et un lyrisme exceptionnels.
L’opéra comprend cinq duos d’amour, "chefs d’œuvre d’envoutement érotique" (F-R Tranchefort). Parmi eux, « Pur te miro » est probablement le plus brulant et le plus sensuel.
Wolfgang-Amadeus Mozart (1756-1791) :
* Don Giovanni (1787) illustre évidemment le dévoiement de l’amour dans le "don juanisme" :
- Dans l’air « Madamina, il catalogo e questo » (Ma petite Madame, ceci est le catalogue), le serviteur de Don Juan, Leporello, énumère la longue liste des conquêtes féminines de son patron, afin d’en détourner Elvire, qui le poursuit de ses assiduités. L’inventivité de la musique y renforce les saillies burlesques du livret, dans l’esprit de "drame joyeux" propre à l’œuvre.
- Le charmant duo « La ci darem la mano » (Là nous nous donnerons la main) montre le prédateur à l’œuvre : il tente d’emmener dans sa garçonnière la jeune paysanne Zerline, qui va tout juste se marier ; et celle-ci hésite, ébranlée par le statut et la tendresse du gentilhomme.
* Les Noces de Figaro (1786) repose sur un livret tiré de Beaumarchais, dont l’amour est le ressort principal : Figaro et Suzanne vont se marier, alors que le Comte convoite Suzanne et que la Comtesse déplore l’affaiblissement de l’affection de son époux.
- Dans l’air célèbre « Voi che sapete che cosa e l’amor » (Vous qui savez ce qu’est l’amour) le jeune page Chérubin expose toutes les interrogations et les aspirations érotiques d’un adolescent.
- Dans le récitatif et air « Giunse alfin il momento / Deh vieni non tardar » (Voici enfin le moment / Ah viens, ne tarde pas) Suzanne profite de l’ombre de la nuit pour exciter la jalousie de Figaro en feignant d’attendre un rendez-vous galant.
* La flûte enchantée (1791) est essentiellement consacrée à l’initiation maçonnique, mais l’amour y tient aussi une place importante.
- Dans le duo « Bei Männern, welche Liebe fühlen » (Chez les hommes qui éprouvent l’amour), le prosaïque Papageno et la tendre héroïne Pamina convergent pour célébrer l’amour.
- Dans le poignant air « Ach ich fühl’s » (Ah, je le sens), Pamina exhale sa plainte de se croire délaissée par Tamino qu’elle aime.
Vincenzo Bellini (1801-1835)
Les Capulets et les Montaigus (1830) est l’un des nombreux ouvrages musicaux consacrés aux amours de Romeo et Juliette, avant l’opéra de Gounod (1867), l’ouverture de Tchaïkovski (1870) ou le ballet de Prokofiev (1935).
Dans le récitatif et air « Eco mi in lieta vesta / O quante volte » (Me voici en habit de fête / O combien de fois), Juliette, qui aime Romeo, exprime son désespoir de devoir en épouser un autre. La superbe expressivité du chant bellinien s’allie aux rares couleurs de l’orchestre (cor et harpe).
Giuseppe Verdi (1813-1901) :
Il avait une prédilection pour les situations dramatiques fortes, qui l’a naturellement conduit à exprimer éloquemment des sentiments amoureux.
* Il en est ainsi dans La Traviata (1853) : Violetta est une courtisane ("traviata" signifie : dévoyée), qui est pourtant authentiquement éprise d’Alfredo. Or le père de celui-ci exige d’elle qu’elle renonce à cet amour, pour ne pas nuire à la réputation de la famille. Violetta finit par accepter de se sacrifier. Dans la scène « Dammi tu forza o cielo » (Donne moi la force, o ciel) elle se résout à écrire une lettre de rupture, mais Alfredo survient. Elle lui cache son trouble, et se jette une dernière fois dans ses bras. La puissance pathétique avec laquelle elle l’adjure de continuer à l’aimer est l’une des expressions les plus brulantes de la passion amoureuse dans le répertoire lyrique.
* Le Trouvère (1853) est contemporain, mais différent : le sujet "de cape et d’épée" fait la part belle à la vocalité pure, au brio et aux sentiments extériorisés. Dans le bel air « Il balen del suo sorriso » (L’éclat de son sourire) le Comte de Luna, protagoniste "noir" du drame, célèbre son penchant funeste pour la claire héroïne. Malgré la situation convenue, la pure beauté musicale emporte l'adhésion de l'auditeur.
Hector Berlioz (1803-1869)
Pour son Roméo et Juliette (1839), le compositeur n’a pas voulu faire un opéra : grand admirateur de Shakespeare, il disait craindre qu’une interprétation lyrique trahisse son modèle. Il opta donc pour une symphonie avec quelques voix (dévolues à des rôles secondaires), les deux héros n’étant campés que par le canal purement musical de l’orchestre.
La formule, novatrice, fut une réussite totale : Wagner, qui avait assisté aux premières représentations, dédicaça - vingt ans plus tard – à Berlioz une partition de Tristan et Isolde, avec ces mots : « Au cher et grand auteur de Roméo et Juliette, l’auteur reconnaissant de Tristan et Isolde ».
Dans les strophes « Premiers transports que nul n’oublie », une voix anonyme chante les amours adolescentes. La première strophe, essentiellement accompagnée à la harpe, témoigne de ce que Berlioz était initialement guitariste, tandis que la deuxième illustre son talent d’orchestrateur enrichissant l’accompagnement.
Edward Elgar (1857-1934)
S’il ne demeure aujourd’hui guère connu que par ses célèbres marches patriotiques Pomp and circonstances et par ses Variations Enigma, ce compositeur britannique aborda la plupart des genres musicaux.
Il était très épris et proche de son épouse, à laquelle il offrit en 1888 – pour ses fiançailles – la courte pièce "Liebesgruss" (Salut d’amour). L’œuvre a certes des caractéristiques d’une "feuille d’album" destinée aux salons. Mais, outre qu’elle procède d’un sentiment vrai, elle possède une légèreté et une grâce fluide qui méritent l'audition.
Franz Lehar (1870-1948)
Ce compositeur autrichien a essentiellement œuvré dans le domaine de l’opérette, où il fut l’un des deniers représentants de la tradition viennoise. Plusieurs de ses 35 ouvrages sont demeurés au répertoire (Le Pays du sourire, Le tsarévitch, Le comte de Luxembourg…).
Son œuvre la plus connue est La veuve joyeuse (1905), qui contient notamment le célèbre duo « Lippen schweigen » (Les lèvres se taisent), où les deux principaux protagonistes se déclarent leur amour…en valsant.
Jacques Offenbach (1819-1880)
Les Contes d’Hoffmann est le chef d’œuvre ultime du compositeur, qui mourut avant son complet achèvement. L’écrivain allemand en est le héros, successivement confronté à des amours malheureuses pour trois femmes. Et c’est finalement à sa fidèle muse qu’il se vouera avec l’air « O Dieu, de quelle ivresse », d’une brulante ardeur romantique.
Ernest Chausson (1855_1899)
Bien que mort jeune, dans un accident de vélo, ce compositeur laissa une œuvre considérable, dans des genres variés : symphonique (une symphonie, "Poème pour violon et orchestre"), lyrique (Le Roi Arthus), musique de chambre…Il y allie une fluidité et une transparence françaises à l’influence wagnérienne.
Le Poème de l’amour et de la mer (1892) est un triptyque pour voix et orchestre sur des textes de Maurice Bouchor, poète qui écrivit aussi pour Debussy. L’œuvre évoque la luxuriance, puis la déchéance d’un amour en bord de mer. Après le grave Interlude, qui fait présager la chute, La Mort de l’amour donne lieu à une belle et émouvante mélodie (« Le temps des lilas et le temps des roses »).
Gabriel Fauré (1845-1924)
Parmi les couples d’amoureux légendaires, Pelléas et Mélisande ont été exceptionnellement bien traités par les musiciens : après la création de la pièce de Maeterlinck (1893), quatre compositeurs de premier plan ont abordé le sujet dans le bref délai de 12 ans : Fauré fit une musique de scène (1898), Debussy son opéra (1902), Schönberg un poème symphonique (1903) et Sibelius une autre musique de scène (1905).
L’œuvre de Fauré, quoique d’un style fort différent de celle de Debussy, supporte la comparaison avec ce chef d’œuvre, comme en témoigne son Prélude : Fauré y évoque le symbolisme de Maeterlinck par une ambiance mystérieuse et une approche musicale en demi-teintes, qui s’accompagne de tensions et détentes. A la fin, le cor cite deux fois un thème de La Walkyrie (l’appel de Hunding), établissant un parallèle intéressant entre le triangle amoureux Pelléas/Mélisande/Golaud et celui de Siegmund/Sieglinde/Hunding.
Richard Wagner (1813-1883)
Les amours de Tristan et Isolde ont donné lieu à de nombreux romans médiévaux, du IXème au XIIIème siècles. Wagner a su en extraire la quintessence pour en faire un livret d’opéra (1865) centré sur l’essentiel, et teinté par sa lecture de la philosophie de Schopenhauer ainsi que par ses relations amoureuses avec Mathilde Wesendonck. De là vient l’importance des thèmes de la nuit et de la mort (Eros=Thanatos).
La musique y atteint des sommets jusqu’alors inconnus, grâce notamment à l’usage des leit-motifs et du chromatisme, et exprime avec une puissance révolutionnaire l’intensité amoureuse autant que les pulsions morbides.
A la fin de l’opéra, Isolde s’exprime seule (« Mild und leise »), extatique devant le cadavre de son amant, qu’elle croit voir s’animer pour elle et l’entrainer pour qu’elle se dissolve « dans le tout mouvant de la respiration du monde ». Cette page est à l’évidence un chef d’œuvre. Elle utilise un nombre limité de leit-motifs, combinés pour atteindre une tension croissante, avant l’accalmie finale ; la progression dramatique y est voisine de la fin de Norma, de Bellini, œuvre que Wagner avait dirigée et admirait.
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